Voile invisible
- Marie-Noëlle Dubost
- il y a 6 jours
- 2 min de lecture
En vacances en Algérie,
je flâne dans les rues d’Alger. Autour de moi, la majorité des femmes portent un voile. J’alterne entre colère et compassion.
Je me sens à la fois proche d’elles et pourtant si loin, me souvenant de celle que j’étais, il n’y a pas si longtemps.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, moi, Française, élevée dans le pays des droits de l’homme, j’ai longtemps porté, moi aussi, un voile — invisible, mais bien réel.
Il m’avait été posé dès l’enfance. Adulte, sans le savoir, je l’ai traîné partout avec moi.
Dans la France des années 70, j’ai grandi dans la religion catholique, où chaque sexe avait sa place, son rôle, ses tâches bien définies.
Par rapport à ma mère, j’avais gagné le droit de travailler. Un progrès en apparence, mais qui s’ajoutait à toutes les injonctions déjà imposées aux femmes : gérer la maison, les enfants, la sphère privée — et désormais, exceller aussi dans la sphère publique.
J’ai été élevée par des femmes qui avaient accepté une soumission tacite, respectant les règles de la domination masculine sans jamais les remettre en question : ma mère, mes grands-mères, et plus que tout, la Vierge Marie — au voile bleu immaculé, figure de pureté et d’obéissance absolue à la volonté de Dieu le Père.
Aucune d’elles ne me montrait la voie de l’émancipation.
Inutile de mettre des mots sur ce qui s’était lentement infiltré en moi avant de guider mes choix et ma manière d’être. Il me suffisait d’observer la façon d’avancer de celles qui m’avaient précédée — et de reproduire.
Sans m’en rendre compte, j’ai accepté ce voile invisible des conventions, celui qu’on attribuait à mon sexe dans le milieu où je vivais.
Mère de trois filles, à mon tour, j’ai commencé à le transmettre sans même le vouloir.
Ce voile invisible m’avait convaincue qu’une femme seule n’arrive à rien.
Il ne recouvrait pas seulement mes cheveux : il bâillonnait ma bouche, il aveuglait mes yeux.
Il me murmurait à l’oreille que, seule, je n’y arriverais pas.
Pourtant, j’étais médecin, indépendante, je gagnais ma vie. Mais une part de moi restait persuadée que je ne saurais pas faire, que je n’étais pas capable.
Quelle était mon identité en dehors du couple ?
Mariée à vingt-deux ans, je n’avais pas encore fini de me construire lorsque je me suis unie devant Dieu, perdant en même temps une part de mon individualité.
Femme de… puis mère de… Qui étais-je, seule ?
Je ne le savais pas.
Chaque fois que j’essayais de soulever un coin de mon voile, la peur me paralysait.
L’angoisse de l’inconnu m’immobilisait. Alors, je le remettais en place et continuais comme avant, trouvant refuge dans l’approbation des autres, dans la satisfaction d’être conforme aux attentes.
Ma communauté me protégeait des dangers du monde extérieur, mais surtout de moi-même.
Il m’a fallu traverser bien des épreuves pour parvenir enfin à m’en libérer.
Aujourd’hui, je mesure la chance qui est la mienne : celle de vivre dans un pays où j’ai pu faire ce chemin.
Les femmes algériennes, elles, n’ont peut-être pas cette liberté de s’émanciper.



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